La Rage
En hérite-t-on ? S’acquiert-elle ? Se cultive-t-elle ? Se perd-elle ? Se transforme-t-elle ? Est-elle contagieuse ? Par quels canaux se transmet-elle ? Comment devient-elle collective ? Est-elle créative ?
À quel moment devient-elle digne ? Quand commence-t-elle à s’éloigner de la rancœur et de la vengeance ? Se rapproche-t-elle de la justice ?
Comment se fait-il qu’elle devient la racine historique de peuples entiers, différents par leur géographie, leur langue, leur culture, leur histoire, leur temps ?
La rage, est-elle le pont entre la douleur et la rébellion ?
À quel moment l’angoisse, le désespoir, l’impuissance se transforment-ils en rage ?
Et si les disparus, les disparues, léguaient, à l’inverse, la rage à qui les recherche ? Et s’ils donnaient naissance à leurs génitrices ?
Et si les chercheuses ne cherchaient pas consolation, pitié, sympathie, aumône de l’oreille d’autrui ? Et si elles cherchaient aussi notre rage ?
Et si toutes les rages avaient une même racine et si elles, et nous – les peuples, nous nous retrouvions dans cette racine ?
Nous saluerons-nous ? Aurons-nous la force de nous sourire, de nous étreindre, d’échanger non seulement des douleurs mais aussi les données du responsable – son même visage (pourtant différent), son rire sardonique, son regard moqueur, son cynisme, sa façon de se savoir au-dessus des lois, le drapeau de l’argent ?
Et si, un jour, dans le livre inachevé de l’histoire, quelqu’un voyait une lumière, n’importe laquelle, et, sans grands gestes ni slogans, disait : « Cette lumière, c’est la rage qui l’a fait naître » ?
Et si ce qui nous unit, malgré toutes nos différences, c’est une même rage ? Qui s’opposera à nous ? Qui nous condamnera à la même défaite de jadis, de maintenant, d’aujourd’hui même ? Qui nous menacera d’un lendemain semblable à celui d’hier ?
Qui perdra et qui trouvera ?
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