Place de la République : l’insurrection qui se perd
« Hier soir, la place de la République a été le théâtre d’affrontements avec les forces de l’ordre. » Pour une fois, cette phrase-letimotiv des médias, je la fais mienne. Pour une fois, je suis d’accord avec elle : hier soir, Répu était la scène d’une mauvais pièce de théâtre. Que les acteurs répétaient inlassablement, en boucle comme un CD rayé.
Une semaine qu’on végéte sur la place, coincés entre une AG monolithique et un son électro lancinant et assourdissant, sans départ en manif’ sauvage. Une semaine que tous les soirs on reste pour quelque chose se passe et qu’on part sans que rien ne se soit passé. Une semaine qu’on observe attentivement autour de nous non pas pour repérer les baqueux mais pour entr’apercevoir le commencement du début d’une sortie de la place, cadre au début libérateur et maintenant carcéral.
Enfin, ce soir, les choses ont semblé se lancer ; un message circule de groupe en groupe, se propage plus vite qu’un nuage de lacrymo et nous fait tou-t-e-s nous rassembler vers la bouche de métro. La foule grossit, la marche commence, les gens se changent à la hâte ; mon cœur gonfle et je souris malgré moi : enfin ! Enfin on y va, on se libère, on reprend la rue, on sort de nos piétinements de convalescent-e-s pour prendre la démarche d’un nouvel être sauvage à mille têtes. Mais très vite ça coince : les CRS bloquent le boulevard Saint Martin. Les bouteilles de bière fusent ; les CRS encaissent prudemment. Moi je ne comprends pas. Pourquoi on reste là à vider nos poubelles sur eux ? Le boulevard Magenta et la rue Toudic sont toutes proches et sont libres ! Mais qu’est-ce qu’on attend ? Les CRS sont pesants de leur attirails, lourds de leur obéissance : la mobilité est notre meilleure arme contre eux. Si on part de la place, on gagne ; si on reste, on perd. Nous sommes libres en manif’ sauvage. Libre. Alors qu’est-ce qu’on fout à vomir des Heineken sur eux ? Pourquoi chercher ainsi un affrontement qui nous bloque au lieu d’aller respirer loin d’eux ?
Les sacs se vident ; la banderole part vers le boulevard Magenta : une lueur d’espoir se ranime. Un fumigène éclaire une nouvelle fois la foule ; je vais parler au copain qui le tient pour qu’on sorte de cette glue ambiante. Le temps qu’on échange deux phrases, la banderole a bifurqué et s’est engagée de nouveau dans la place, tournant le dos au boulevard Magenta, qui est toujours libre -pas comme nous.
Commence alors le début de la fin. Les affrontements n’arrêteront pas, et même entre les gens restés sur la place. Un copain a eu la joue tailladée parce qu’il a pris la défense d’une fille qui se faisait emmerder. Je me suis moi-même faite emmerder une dizaine de fois dans la soirée. Des types nous demandaient trois fois du sérum phy en vingt minutes pendant que leurs potes fouillaient dans nos sacs. D’autres complètement bourrés zigzaguaient furieusement entre les gens, bouteilles à la main, le visage trempé de larmes et de sérum phy. Ce sont eux, les romantiques révolutionnaires nocturnes de Nuit Debout.
Voilà ce qui se passe à Répu une fois les commissions rentrées chez elles, la sono de l’AG remballée et les curieu-ses-x partis finir la soirée en boîte. Je sais que ce qui se passe déjà à Répu en journée en désespère plus d’un-e, je sais que beaucoup n’y croient déjà plus depuis longtemps et s’énervent de la teneur des débats et de l’organisation de Nuit Debout -et j’en passe, les critiques mériteraient un autre article. Mais vous êtes où, pour faire avancer les choses ? Vous êtes où, totos, squatteurs, anticapitalistes, anarchistes, antifa, rebelles et révolutionnaires de tous les pays, vous êtes où quand on a besoin de nos idées, de nos valeurs et de nos modes de fonctionnement pour cesser de faire de Nuit Debout au pire un pathétique "théâtre d’affrontements" -et au mieux un "mouvement social"- pour devenir une vraie possibilité insurrectionnelle ? Vous regardez Nuit Debout du même dédain dont les patrons usent envers les ouvriers. Le purisme révolutionnaire n’amène qu’au prêche dans le désert. Des milliers de personnes sont là, chaque jour, parlent entre elles, s’initient à de nouvelles choses, tentent de prendre en main ce qui a jusqu’à maintenant toujours filé entre leurs doigts. Et vous voulez laisser passer ça sous prétexte que les choses stagnent, s’enlisent, sont trop institutionnelles à votre goût et pas assez contestataires ? Mais comment pourrait-il en être autrement si vous n’êtes pas là ? Les idées et les savoirs ont donc une vie propre et se répandent seules sans que personne ne les évoque ? Elle apparaissent comme par magie et nous voilà à préparer une révolution à cinq mille grâce à Marraine la bonne fée ?
Les Lordon et compagnie nous font de grands discours qui font le buzz sur le net ; ils partent une fois les poignées de mains serrées et n’ont jamais fait un seul pas de coté de leur vie. Ne soyons pas comme eux. Notre force, c’est aussi l’anonymat, la joie de connaître quelqu’un en même temps qu’il/elle nous connaît. Et c’est quand on se mettra à parler à sa/son voisin-e qu’on se rendra compte que c’est en fait un-e camarade.
Nous ne sommes pas une élite éclairée. Nous sommes tou-tes-s égaux. Nous avons autant à apprendre des personnes sur Répu qu’elles ont à apprendre de nous. Nous avons la chance inespérée de pouvoir rencontrer des gens que nous n’aurions sans ça jamais croisé de notre vie. Je ne parle pas de prendre la parole en AG, de créer une commission. Je parle simplement de participer de quelques manière que ce soit. D’être (là). De semer des graines, ouvrir des brèches, construire des ponts et d’allumer des mèches.
Source et article complet : https://paris-luttes.info/place-de-la-republique-l-5463