Quelques siècles se sont écoulés, depuis nos dernières nouvelles de Calais, nous sommes toutes très occupées
Quelques siècles se sont écoulés, depuis nos dernières nouvelles de Calais, nous sommes toutes très occupées. Tout évolue vite mais rien ne change vraiment ici. Ce mail est long, très long, mais évidement, fort intéressant.
Situation terrain
LES CHOSES QUI NE CHANGENT PAS : la frontière, la présence de centaines de personnes exilées, la mobilisation des polices/CRS/PAF/municipaux/gendarmes sur la répression, éloignement et politique de non accueil en lien avec la municipalité de Calais et la Préfecture.
Comme vous le savez sans doute, l'État a repris les distributions de nourriture depuis le 6 mars, en deux points ; un fixe à côté du hangar d'hébergement d'urgence, rue des Huttes et un mobile, sur plusieurs points, notamment au point hôpital où se rendent très peu d'exilé.e.s. C'est la Vie Active qui est opératrice pour les repas, comme pour les douches.
Plusieurs assos distributrices (Utopia et RCK), ont arrêté leurs distributions une semaine en journée, pour laisser une chance au dispositif d'État, mais les ont repris depuis lors. Le midi aux Verrotières, RCK dénombre toujours entre 500 et 600 repas. L'association SALAM n'a jamais cessé ses maraudes de petit-déjeuner.
Les lieux des distribution aujourd'hui, Verrotières, BMX/Belgium Parking, Petite forêt, Old Lidl, covoiturage, stadium.
Dans les faits, la municipalité a monté des murs de pierres pour empêcher l'accès au site du covoiturage et Stadium, je vous mets une petite photo pour que vous puissiez admirer le travail de qualité de la municipalité de Calais.
Un temps boudé par les exilé.e.s (air de repas entourée de barbelés, camion repas escorté d'un minimum de 3 fourgons CRS), le service de distribution étatique est de plus en plus fréquenté. Depuis plusieurs semaines, la problématique de l'accès à l'eau a refait surface, car l'État a fait retirer les points mis en place suite à la condamnation du Conseil d'État. Les personnes qui souhaitent boire doivent se rendre aux distributions d'État, ce qui de fait, prive d'eau les exilé.e.s qui refusent de s'y rendre. Les assos (Salam, Auberge et Utopia) ont recommencé à mettre à disposition des jerricans d'eau. Dernièrement, l'Auberge a été verbalisée pour abandon de déchets sur la voie publique, les déchets en question étant des jerricans.
Un des plus gros problèmes tient au fait que les autorités profitent des repas et de l'éloignement des personnes de leurs lieux de vie, pour confisquer/voler leurs effets et matériel pour dormir (tentes, bâches, sacs de couchage et couvertures).
La sous-préfecture a reconnu les opérations, mais continue de soutenir que les exilé.e.s peuvent récupérer leurs effets personnels, et même que les affaires mouillées sont séchées avant d'être rendues (cf.protocole pressing proposé par la pref). Les plaintes pour dégradations de matériel personnel déposées par plusieurs associations en leur nom, sont toujours en cours, le procureur ne s'est pas encore prononcé, les trois mois arrivent à leur terme le 18 avril.
Les opérations de polices contre les lieux de vie n'ont pas diminué, loin de là. En mars, 7 démantèlements ont été recensés (il y en a eu sans doute plus), depuis le début du mois d'avril, nous en sommes à une dizaine.
La pratique est souvent la même :
- UN CONTINGENT IMPORTANT et impressionnant de policiers se déploie dans la zone désignée et autour (plusieurs vans de CRS, véhicules de police nationale, policiers des CRS en uniforme de maintien de l'ordre sans casque mais boucliers, jambières, épaulières et lanceur de grenades lacrymo et/ou balles de défense).
- PRÉSENCE PONCTUELLE D’OFFICIELS (représentant de la sous-préfecture, cohésion sociale, commissaire /adjoint...) et plusieurs fois pendant des maraude OFII (orientation CAES, aide au retour).
- Les policiers se placent en cordon et délimitent un PÉRIMÈTRE D’INTERVENTION interdit au « public ».
Un temps peut être laissé à quelques exilé.es pour récupérer des couvertures, mais ce n'est pas systématique, les tentes, bâches, matériel de camping ne sont pas récupérables. Plusieurs fois, des exilé.es n'ont pas pu récupérer leurs sacs, traitements médicaux et documents.
Souvent, lorsque les exilé.e.s et observateur.rice.s se maintiennent sur place et posent des questions ou enregistrent l'intervention, le périmètre d'intervention est étendu et les personnes repoussées jusqu'à la rue.
- Pendant que les agents d'entretien traînent les affaires des personnes exilées jusqu'au camions bennes, les policiers procèdent à tous CONTRÔLES qu'ils jugent justifiés (personnes racisées, qui questionnent, qui filment…), avec à la clef, des INTERPELLATIONS. Certaines personnes exilées sont emenées à Coquelles et immédiatement relâchées, d'autres sont placées en retenue administrative.
- REFUS QUASI SYSTÉMATIQUE D’INDIQUER LEUR CADRE D’INTERVENTION, de produire l'arrêté, la circulaire, la réquisition, tous documents officiels qui permettraient les expulsions de fait.
- Concernant la DÉONTOLOGIE POLICIÈRE, la grande majorité des policier des CRS intervenant dissimulent ou ne portent pas leur numéro RIO, rendant difficile leur identification (ils ne justifient pas davantage de leur nom et prénom). Ils sont aussi nombreux à filmer les bénévoles et exilé.e.s avec leur téléphone personnel.
Jusqu'à présent, des distributions de matériel étaient organisées une à deux fois par semaine, pour a minima les couvertures et duvets.
Lundi 26 mars, deux bénévoles de l'Auberge des Migrants ont été entendus dans le cadre d'une audition libre pour des faits D’INSTALLATION EN RÉUNION SUR LE TERRAIN D’AUTRUI, suite à une opération de distribution de tentes et sacs de couchage réalisée le vendredi précédent suite à l'opération policière de ramassage du matin. Deux témoins associatifs ont aussi été entendus dans ce cadre. Les personnes, briefées en amont n'avaient rien à déclarer, des empreintes et photos ont tout de même été prises. Notre ministre de l'intérieur persiste clairement dans sa volonté d'intimidation et de criminalisation des aidants.
Ces démantèlements successifs, hors de tous cadre légal, impactent directement les habitants et habitantes en termes de conditions de vie, de possibilité de se reposer, d'être autonomes vis à vis des distributions de nourriture et d'organisation des groupes. Les stocks de tentes, couvertures et duvets sont épuisées, l'Auberge vient de relancer un appel aux dons de matériel, car bien entendu, si ces interventions précarisent toujours plus les exilé.e.s, elles ne les font pas disparaître.
D'ailleurs, et sans jouer aux oracles, les derniers événements et projets étatiques (fin de la trêve hivernale, placement de la préfecture de Lille en procédure pilote de traitement (entendez « renvois ») des personnes dublinées, précisions légales apportées au risque de fuite et donc retour de la possibilité de placement en rétention des DA dublin, projet de loi « pour une immigration maîtrisée »...) vont avoir des conséquences dramatiques dans les prochains mois. Nous en sommes déjà témoins, en vérité ; hébergements d'urgence saturés, placements systématiques en procédure Dublin sans considération des situations individuelles, multiplication des assignations à résidence, banalisation de l'enfermement des étranger.e.s, injonction à la fuite et à l'errance, invisibilisation et facilitation des abus sur les plus vulnérables, petite délinquance de survie, criminalisation des personnes exilées...
RELATIONS AVEC LES AUTORITÉS
DEPUIS LA DÉCISION DU CONSEIL D’ÉTAT SUR LES DOUCHES ET POINTS D’EAU, LA SOUS PRÉFECTURE A RÉGULIÈREMENT INVITÉ QUELQUES ASSOCIATIONS CHOISIES, SANS DOUTE EN PARTIE POUR SATISFAIRE À L’OBLIGATION DE CONCERTATION POSÉE PAR LE JUGE ADMINISTRATIF.
Ces réunion n'ont bien sûr rien de nouveau, elles ressemblent très fort aux réunions hebdomadaires qui se tenaient au temps du bidonville, public choisi, indésirables écarté.e.s, opératrices d'état enthousiastes ou silencieuses, déclaration préfectorale et aucune réponse aux questions et interpellations.
Ces dernières semaines, plusieurs associations (Salam, Mdm, le Secours y réfléchit) ont décidé de boycotter les réunions préfecture, en expliquant à l'interasso que « _VISIBLEMENT CES RÉUNIONS NE SERVENT QU’À CAUTIONNER LE DISCOURS D’UNE AUTORITÉ QUI PRÉTEND ORGANISER DES CONCERTATIONS AVEC LES ASSOCIATIONS_ » . Pour rappel, la Cabane défend cette position depuis...ses balbutiements.
Le sous-préfet a commencé à convoquer individuellement des assos, d'abord le Secours Catholique, puis l'Auberge, les assos anglaises (Care4Calais, Help Refugees et RCK) convoquées vendredi 23 mars pour leur dire qu'elles n'avaient plus rien a faire ici, enfin Utopia 56 vendredi 6 dernier.
Les entretiens ont des allures d'audition à charge sur les activités des différentes associations. Les convoquées n'ont pas jugé utile dedécliner jusqu'à présent.
Les interasso restent des lieux de désaccords réguliers, sur les stratégies communes, positionnements politiques et rapports aux autorités. Notre positionnement est relativement inchangé ; nous n'avons aucune confiance dans les autorités et nous doutons sérieusement que celles-ci travaillent dans le sens de : plus de dignité des personnes, respects de leurs droits et choix, moins de violence/répression.
La situation ne s'améliore pas et les dernières tentatives de mises en cause des individus et associations nous inquiètent, la division joue clairement trop contre nous.
Source : @Boog