Récit d’Arsene, expulsé le 12 juillet 2017 en Italie
Je m’appelle Arsène MUNKIE MOBA KAMBA, j’ai 42 ans et j’ai du fuir la RDC en 2014 après avoir été détenu et gravement torturé dans mon pays en raison de mes activités politiques. Je suis arrivé en France en novembre 2016 mais pendant tous ces mois je n’ai pas pu exposer en France les raisons de ma demande d’asile car l’enregistrement de mes empreintes a été faite dans le pays de mon entrée dans l’UE, l’Italie. C’est le pays censé recevoir ma demande : je suis, comme on nous surnomme, un « dublin » ; ce qui veut dire qu’ en vertu des accords européens de Dublin, la France, après avoir obtenu l’accord de l’Italie, est en droit de m’y renvoyer, de gré ou de force, pour que j’y fasse ma demande d’asile, ce qu’elle n’a pas manqué de faire.
Et après une notification de transfert vers l’Italie et une assignation à résidence par la préfecture du Cher, j’ai été arrété au commissariat de Bourges, où je me rendais quotidiennement depuis un mois pour signaler ma présence.
Ça s’est passé comment, ton arrestation ?
Ce jour là, le 11 juillet, on m’a dit qu’il fallait que j’aille signer dans un bureau et non à l’accueil comme d’habitude, puis très vite, moins d’une heure après, on m’a fait sortir par l’arrière et monter dans un véhicule pour me conduire dans un Centre de Rétention Administrative. On voulait me menotter mais j’ai dit que je ne voulais pas résister, alors on m’a laissé les mains libres.
Tu avais tes affaires avec toi ?
Non, au SC ils m’avaient dit que je ne risquais rien alors j’avais juste mes papiers et mon téléphone, mais quand il s’est mis à sonner ils (au commissariat) me l’ont confisqué et ne me l’ont rendu qu’au moment d’embarquer dans l’avion.
Où était le CRA ? Combien de temps y es tu resté ?
Je crois qu’il était à Roissy ou tout près. Je n’y suis resté qu’une seule nuit, le lendemain j’étais dans l’avion.
Comment ça s’est déroulé là bas ? Tu as pu rencontrer une association ?
Oui, mais je ne me souviens plus de leur nom. Je n’avais pas mes affaires, ils m’ont dit qu’il fallait que je refuse de monter dans l’avion en disant que je voulais récupérer mes bagages et que le lendemain il y aurait un recours, que je rencontrerai un juge et que mon transfert serait annulé.
Quand je suis arrivé au centre, on m’a pris les médicaments qu’on m’avait prescrit à Bourges. J’ai dit que j’étais malade et que j’en avais besoin. Ils m’ont dit que j’irais à l’hopital le lendemain mais le lendemain on m’a mis dans l’avion. J’avais aussi demandé à rencontrer un avocat.
Mais le lendemain tu as accepté d’embarquer ? pourquoi ?
Quand les policiers sont venu, il y en avait un qui était gentil mais l’autre m’a fait peur en me disant que si je refusais j’aurais beaucoup d’ennuis alors j’ai accepté d’embarquer.
Les policiers sont montés avec toi dans l’avion ?
Non, car j’ai embarqué de mon plein gré. Ils m’ont accompagné à la porte de l’avion, mais ils ne sont pas monté. L’hotesse m’a remis mon billet.
Les médicaments qu’on t’a confisqués, c’était pour soigner quoi ?
J’ai été torturé dans mon pays et j’en ai gardé des séquelles : j’ai maintenant de fortes douleurs et je perds du sang à chaque fois que je vais à la selle. Le médecin m’avait prescrit un traitement pour ça.
Où as-tu atterris ? Et que s’est il passé à ton arrivée ?
Le 12 juillet, lendemain de mon arrestation au commissariat de Bourges, je suis arrivé à l’aéroport de Venise, la police de l’immigration et des frontières m’a amené dans un bureau où on m’a pris les empreintes de mes index gauche et droit. Ils m’ont dit : « Tes empreintes sont sorties en France, et tu n’as pas fait de demande d’asile en Italie, il faut que tu retournes en France», mais moi j’ai dit « Non, c’est la France qui m’a envoyé pour que je fasse ma demande en Italie»,
ils m’ont répété qu’il fallait que je fasse ma demande en France. Puis on m’a remis un document où il était écrit que j’avais 7 jours pour me présenter dans un centre situé à Trapani, ils m’ont dis que là bas ils pourraient m’orienter.
C’est très loin, tu y es allé ?
Oui, j’ai pris le train et puis à partir de Matera, le bus. Mais je ne savais pas que c’était aussi loin. Il m’a fallut 3 jours pour y descendre.
Comment as-tu fais ? tu avais de l’argent ?
J’ai payé mon voyage, j’avais peur de me faire arreter de ne pas pouvoir arriver avant le délai de 7 jours, la nuit j’ai dormi dehors.
Et une fois à Trapani, comment était le centre ?
C’est un grand centre, mais je n’ai pas pu y rentrer, je suis resté à la porte. Les gens du centre m’ont dit que ce n’était pas pour moi, qu’ils ne s’occupaient que des gens qui descendaient des bateaux. J’ai montré le papier que m’avait donné la police de Venise, où le nom du centre était marqué, (Arsène me montre le document à l’entête de la police venizienne lui donnant injonction de rejoindre le centre de Trapani) mais ils m’ont chassé.
Ils m’ont dit que les empreintes qu’on avait prises en Italie, c’étaient juste pour m’identifier quand j’étais descendu du bateau, que ça n’avait rien à voir avec une future demande d’asile » ;
Je leur ai dit
« Alors, donnez-moi un papier disant que je ne peux pas rentrer dans le centre »,
un des deux messieurs m’a alors dit tout bas
« Il faut partir. Ils ne te donneront aucun papier où c’est écrit qu’ils te refusent, car l’état italien touche de l’argent à chaque fois que quelqu’un est transféré en Italie ».
Je me suis mis à pleurer et je leur ai demandé comment j’allais faire, mais ils m’ont dit va-t-en et ils ont refermé la porte.
Qu’est-ce que tu as fait alors ?
Je n’avais plus d’argent, alors j’ai commencé à remonter vers le nord en fraudant dans le train. Je me suis fait contrôler une seule fois, je ne sais pas si le contrôleur m’a verbalisé, il m’a laissé repartir. J’ai aussi beaucoup marché à pied. A Milan j’ai rencontré un guinéen qui parlait français -(lui, le monsieur du Centre de Trapani et mon compatriote de Turin, ce sont les seuls que j'ai rencontré et qui parlaient français) il m’a dit qu’il connaissait un congolais à Turin qui pourrait m’aider. Il lui a téléphoné et il m’a dit de descendre à la station Porto Nuevo. Mon « frère » congolais est venu m’y attendre, c’est un réfugié, comme moi, il était en Italie depuis 4 mois au moins et n’avait pas pu passer en France. Il travaillait sur le marché de Porto Pallacio, près de Turin et je suis allé travailler avec lui.
Qu’est-ce que vous faisiez comme travail ?
Tous les matins vers 4h30 on rejoignait le marché et on déchargeait les cageots pour les marocains de 5h30 à 7h ; après on allait faire la queue au commissariat, puis on partait à la distribution alimentaire et on recommençait à travailler en chargeant les cageots à la fin du marché, vers 13h et jusqu'à 15h environ
J'ai fais ça une semaine au moins.
Tu a gagné combien pour ça ?
C’était mon « frère » qui était payé et on partageait, j’ai eu 150 €
Il y avait beaucoup de gens comme vous, qui y travaillaient ?
Oui, beaucoup de noirs, mais je ne sais pas s’ils étaient réfugiés comme nous. Les réfugiés qui sont enregistrés ils ne leur donnent pas plus de 90 € par mois, alors il faut qu’ils travaillent au noir. Certains venaient en vélo, nous étions à pied, on marchait beaucoup.
J’avais très mal aux pieds, je gardais mes chaussures jour et nuit, et j’avais beaucoup marché avant d’arriver à Turin, j’avais fini le voyage pieds nus, à cause des ampoules et des blessures. Je souffrais aussi beaucoup de mes séquelles de torture. On m'avait confisqué mes médicaments au CRA, alors mon ami m'a donné du doliprane pour me soulager un peu.
Ou viviez-vous ?
On dormait sous un pont tous les 2.
En Italie, j’ai toujours dormi dehors.
Avant on était avec d’autres gens comme nous, on était 5 ou 6, dans un autre endroit, mais on s’est fait chasser et confisquer nos couvertures et nos matelas. Ensuite on s’est installé là pour se protéger de la pluie.
Vous n’aviez plus rien pour dormir ?
On dormait sur des cartons et on a récupéré des draps dans une poubelle pour se protéger des moustiques (photos)
Mon ami, avant que j’arrive, avait pu avoir une place dans un centre d’hébergement pour un mois, mais c’était fini, il était à nouveau dehors.
Et pour manger, faire votre toilette ?
On allait dans un grand centre caritatif, tous les jours avant de reprendre le travail au marché.
Ça ouvrait vers 10h30 et fermait vers 13h, on avait un carton d’inscription avec un numéro, on nous appelait par groupe de 20 et on s’installait pour manger un repas chaud, du lundi au samedi.
On pouvait faire sa toilette, mais pas prendre de douches.
Il n’y avait pas que des réfugiés, c’était pour tout le monde.
Le centre dépendait de quel organisme ?
Je ne sais pas. C’était une organisation catholique. Un jour j’ai vu une bonne sœur noire qui y travaillait. Ils étaient tous très gentils. Les numéros appelés allaient jusqu’à 500, on était au moins 100 à la fois dans la salle.
Vous aviez d’autres secours ? un vestiaire ?
Non, rien d’autre. J'étais parti de Bourges en tee-shirt et j’ai porté les mêmes vetements pendant tout mon séjour en Italie. Comme j’avais froid la nuit, j’ai récupéré une veste dans une poubelle, c’est tout.
Tu n’avais rien, même pas une brosse à dents ?
Si, car avant d’aller au commissariat, j’avais glissé ma brosse à dents dans ma poche (j’avais aussi un coupe-ongles, mais les douaniers me l’ont pris avant que je monte dans l’avion…)
Quand on t’a chassé du centre de Trapani, tu n’as pas essayé de déposer ta demande d’asile ailleurs ?
Si, je faisais comme mon ami congolais qui tentait de se faire enregistrer depuis 4 mois : tous les jours après le déchargement au marché on allait au commissariat, il y avait énormément de monde, on s’alignait. Vers 8 ou 9h une femme et un homme arrivaient, ils avaient une liste, ils appelaient des noms et les gens entraient au commissariat.
Ils en prenaient beaucoup chaque jour ?
Peut être 15 ou 20. Nous n’étions pas sur les listes mais s’ils te voyaient tous les jours pendant plusieurs semaines ils te remarquaient et ils t’inscrivaient.
Quand ils avaient appelé tous les gens, on s’en allait, on allait manger puis on retournait travailler, recharger les cageots à la fin du marché.
Tu allais tous les matins au commissariat ?
Oui tous les matins, tout le temps où j’étais à Turin.
Depuis que je suis parti mon ami y va toujours, mais il n’est toujours pas enregistré, ça fait plus de 5 mois qu’il essaye. Peut être qu'ils voudront l'enregistrer, luil n’est jamais allé en France, n’a jamais fait de demande en France.
Moi on m’a rejeté partout en Italie en me disant que comme j’avais fait une demande en France, il fallait que je retourne en France, qu’on n’enregistrerait pas ma demande en Italie, que les empreintes que j'avais laissées, c’était juste pour m’identifier
Alors, lorsque j’ai eu un peu d’argent, j’ai essayé de revenir en France.
ça ils nous le disent aussi quand on descend du bateau « vous allez donner vos empreintes pour qu'on vous identifie, après vous pourrez aller déposer votre demande d'asile en France »
Comment as-tu fais ?
On m’a dit qu’il fallait prendre le train très tôt le matin car il n’y avait pas de contrôleur. Je suis parti le 25 je crois à 3h30 du matin j’ai pris trois trains, sans billets, le premier partait à 5h30, et je suis arrivé dans l’après-midi à Vintimille
Et à Vintimille, tu as pu passer ? Tout le monde dit que les policiers français empêchent les migrants de rentrer en France ?
Là bas les policiers italiens ne t’empêchent pas. Au contraire, Ils te disent « C’est par là » et te montrent les policiers français de l’autre coté de la route.
Moi j’ai marché, je suis allé les voir, je leur ai montré tous mes papiers, je leur ai dit que les italiens m’avaient dit de retourner en France. Je n’en pouvais plus.
Ils ont regardé mes papiers et m’ont fait monter dans leur véhicule. J’ai cru qu’ils m’arrétaient, je me suis mis à pleurer.
Ils ont fait monter d’autres gens ? il y avait du monde à la frontière ?
Oui, il y avait plein de noirs. Mais eux, ils se cachaient des policiers français.
Non, il n’y avait que moi dans le véhicule. Ils m’ont amené dans une ville et ils m’ont dit de descendre, sans rien me dire. Je ne savais pas si j’étais en France ou en Italie.
J’ai demandé à une dame, elle m’a répondu en français, elle m’a dit que j’étais à Nice.
J’ai demandé où était la gare. Et à la gare, j’ai demandé où était le train pour Bourges. Les gens ne savaient pas où c’était, alors j’ai pris un billet de TGV pour Paris le soir même. Il m’a couté 132 €, je ne voulais pas voyager sans billet, j’avais bien trop peur de me faire arreter et renvoyer en Italie.
je suis arrivé à Paris le soir à 19h42, je n’arrivais pas à croire que j’étais à Paris quand je suis descendu du train.
Et à Paris, qu’est ce que tu as fait, Arsène ?
Je n’avais plus d’argent, alors j'ai passé les deux premières nuits dehors,
Ensuite, vous avez pu me contacter et recharger mon téléphone. J'ai téléphoné à un ami qui a pu m'héberger.
Et en Italie, tu n’as pas essayé d’appeler tes amis, de nous appeler ? nous avons tenté de te joindre, de notre côté.
Si, mais je ne pouvais joindre personne, mon téléphone ne passait pas. Et je n’ai pas reçu d’appels.
Et ensuite ?
Ensuite j’ai été voir le Gisti et l’ATMF mais c’était la veille de leur fermeture et ils n’ont pas pu me recevoir, il y avait trop de monde. J’ai finalement pu rencontrer France Terre d’Asile et faire quelques démarches, puis je suis rentré à Bourges quelques jours après.
Quand j’ai revu G et P à ma descente du bus, mon coeur s’est vraiment serré.
Tu es dans quel état d'esprit maintenant ? Comment envisages-tu l'avenir ?
J’espère que je ne serai pas à nouveau placé en procédure Dublin ; c’est trop dur, ce que j’ai vécu en Italie, j’ai fait des photos pour montrer comment j’ai vécu tout ce temps.
J’ai tenté de faire ma demande là bas, puisque c’était le pays qui devait la recevoir. J’ai accepté mon transfert, je me suis rendu dans le centre qu’on m a assigné. Mais l’Italie m’a rejeté.
Si on me transfert à nouveau, cette fois je refuserai ; Je demanderai à être rapatrié au Congo, comme la loi le prévoit, même si c’est la mort qui m y attend.
A tout prendre, je préfère mourir auprès de mes enfants."
La dernière fois que j’avais vu Arsène avant sa déportation vers l’Italie, il m’avait parlé de son garçon, agé d’une dizaine d’année, resté au Congo avec sa maman, sa petite sœur. Il s’inquiétait beaucoup car il avait de la fièvre.
Ce soir, Arsène m’a reparlé de ses enfants, qui pleurent car il leur manque. C’est grace à ses enfants que j’ai retrouvé Arsène, Arsène qui avait posté, dès son retour en France, cette phrase, sous leur photo : « Papa est là ».
Bourges, le 16 août 2017